Interview de Siegfried MAZET grand témoins de notre évènement.
- La Vallée de la Drôme et le diois… vos racines?
Mes racines sont à la Chapelle en Vercors. Là haut, presque tous les jeunes ont pratiqué le ski, alpin ou fond. Certains comme moi, ont poursuivi la progression en biathlon, au sport-étude de Villard de Lans puis en equipe régionale jusqu’à nationale. Très attaché à mon Vercors Drômois et après mes études en sport, j’ai été chargé de developper le biathlon, pendant 5 ans sur le plateau du vercors, et en Drôme. Ensuite, j’ai saisi l’occasion de devenir entraineur national, d’abord avec des juniors puis rapidement avec l’Equipe de France pour préparer les JO de 2010 et 2014 dont Martin Fourcade faisait parti. Enfin en 2016 et après une séparation difficile avec l’equipe de France, je rejoins l’equipe masculine de Norvege de biathlon et de Johannes Bø dont je suis l’entraîneur jusqu’à aujourd’hui.
- SI je vous dis « gestion d’équipe & conflit d’égo… » qui sont des notions souvent abordées lors des échanges avec nos chefs d’entreprise, est-ce que cela résonne avec votre métier?
Absolument. L’égo est l’une des caractéristiques d’un sportif de haut niveau. Lorsque les athlètes d’une même équipe évoluent ensemble (entrainements et compétitions), il faut veiller à ce que chaque personnalité trouve sa place dans le groupe, malgré ses propres ambitions. Une partie de mon métier consiste donc à créer les conditions d’une harmonie entre chaque membre de l’equipe. Le but est ainsi de montrer à chacun l’intérêt qu’il a, à collaborer avec les autres. C’est se mettre au service des autres, en partageant son expérience. Ainsi se crée dans le groupe, un partage de connaissances et, d’expertises. Chacun se confronte, évolue, progresse, et fait progresser les autres. Lorsque ça se passe bien, on remarque que les athlètes ont très envie d’intégrer un tel groupe et aucun ne veut céder sa place. C’est l’intelligence collective.
- Quelles sont les qualités d’un bon coach? D’un bon athlète ?
Pour le coach ou l’athlète, on passera sur les qualités techniques, que tous, nous avons. Certes l’expertise technique est importante, mais ce n’est que 20 ou 30 % de le performance.
Selon moi pour le coach, la 1ère qualité est l’empathie et quelque soit le niveau avec lequel on travaille. Du débutant aux athlètes de très haut niveau, il est impératif de comprendre quelle est la personnalité que j’ai face à moi. L’observation va fournir beaucoup d’indications. Ainsi je peux mieux communiquer avec lui ou elle en utilisant les bons leviers, pour qu’il ou elle progresse. L’empathie et la bonne communication conduisent presque automatiquement à gagner la confiance de l’athlète. Cette confiance devient mutuelle, entre l’entraineur et l’athlète, puis entre athlètes. C’est aussi ce qui permet de créer l’harmonie citée plus haut. Lorsqu’on se fait confiance et que la communication est fluide, cela me permet de donner un cap et de mener un projet (ou un objectif sportif).
Pour l’athlète, c’est sa capacité à anticiper, à choisir et décider, comme lorsqu’on joue. Pourquoi, on a fait du sport au tout début ? Pour s’amuser, parce qu’il y avait une notion de plaisir, perdre ou gagner. Peu importe. Si on joue, si on prend part à une compétition, il faut être prêt à perdre si on veut gagner. Bien souvent, des athlètes ne veulent pas perdre, et deviennent très défensif, au point de s’enliser, de s’inhiber. C’est pourquoi, l’athlète doit garder cet enthousisame.
- Quel est le spectre d'intervention du coach? Votre rôle se limite t il aux performances sportives? Ou êtes vous aussi un peu « un parrain »?
La préparation pour la saison d’hiver est d’environ 7 mois. Nous effectuons un stage ou 2 par mois, d’environ 12 jours. Pendant la saison de compétition, on part pour 3 semaines par mois. On passe donc beaucoup de temps ensemble, rythmé par les entrainements ou les compétitions. Il y a ainsi toute une logistique à mettre en œuvre pour obtenir des trajets fluides et des meilleurs lieux d’hébergement (proximité…). Cela contribue aussi à une bonne optimisation de la performance. Ensuite, nous veillons aussi au bien être de tous les membres de l’equipe, c’est-à-dire les kinés, les techniciens de skis, docteurs, cuisinier, et parfois les chauffeurs. Donc non, mon rôle ne se limite pas aux performances. Il faut en permanence savoir comment vit tout ce petit monde, pour que tous puissent performer dans son rôle. C’est aussi notre devoir en tant que coach, car nous sommes au plus prés des athlètes et que beaucoup de facteurs sont liés à eux.
- Les chef(fe)s d’entreprise ont souvent du mal à trouver un équilibre satisfaisant entre vie professionnelle/ vie personnelle. Difficile de s’éloigner des emails, couper complètement le week-end, ne pas ruminer les soucis à la maison etc… cette pression se ressent elle chez vos athlètes? Quels sont les conseils que vous leur donner ? Avez- vous des « bonnes pratiques » à partager sur le lâcher prise ?
Les pressions sont multiples. Par exemple, la pression est permanente car nous passons notre temps à optimiser les entrainements pour justement pouvoir effectuer tous ce qui est nécessaire pour être prêt pour la saison et surtout maintenir son niveau le plus longtemps possible. Ensuite, il y a la pression des résultats, des sponsors, des médias, des voyages. Etc. Cela nous amène à être en permanence sur le front, autant pour les athlètes que pour l’encadrement. Il est donc impératif de s’imposer du répit. Ces répits ou ces pauses doivent absolument être prévu dans le temps, à intervalles récurrents. Effectivement on s’entraine à lâcher-prise, à se débarrasser de tout ce qui est connecté à notre pratique. On sait, par expérience, que ce n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Comme nous nous l’imposons, nos athlètes ont acquis la faculté de pouvoir « débrancher » et de se « re-connecter » rapidement car c’est devenu notre salut pour performer sur le long terme. Pour cela, nous avons pris l’habitude d’avoir des temps faibles après chaque période intense (stages ou compétitions) qui peuvent durer de 2 à 6 jours, une fois toutes les 3 semaines.
- De vos expériences en équipe de France puis en équipe de Norvège, quelle différence de fonctionnement vous paraît être un vrai avantage pour l’équipe?
Lorsque je suis arrivé en Norvege, j’ai été confronté à un choc de culture du travail. J’ai rencontré une forme différente de management et de collaboration. Dans ce système scandinave, il n’y a pas vraiment de hiérarchie. Le système est horizontal, c’est-à-dire que chacun agit dans son domaine, sans cloisonnement. J’ai un directeur sportif, qui est presque plus à ma disposition pour m’aider dans ma tache que pour lui rendre des comptes. Nous avons régulièrement des rencontres avec les différentes fonctions de la fédération. Une fois par an, chaque domaine de compétences présente et explique ses travaux et ses projets aux autres : le marketing, la comptabilité, la communication, le projet sportifs (nous) etc. Autrement dit, on sait qui fait quoi, comment, pourquoi, quelles difficultés ils rencontrent…
La contre partie de ce système est qu’il est parfois lent pour les prises de décisions.
- Nous vivons dans un monde fluctuant où l’adaptabilité sera de plus en plus un facteur clé de succès. Moins de ressources, des événements climatiques extrêmes réguliers, etc…est-ce que vous avez fait évoluer vos pratiques ? Ou y pensez-vous ?
Notre sport d’hiver subit les effets du changements climatiques. Nous avons élaboré une série de mesures simple à mettre en place et à court terme. Ces propositions ont été plutôt mal accueilli par la fédération internationale, dont c’est l’une des prérogatives. Pour l’instant, nous nous efforçons de continuer ce travail de négociations avec les instances dirigeantes. Nous (les professionnels du terrain) tentons de faire prendre conscience des enjeux, et surtout de l’image qu’on peut donner. Certains ne s’en préoccupent pas.